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 Fodjo Kadjo ABO

LES LEÇONS D’UNE GUERRE DE VOISINAGE

14 Mars 2022, 16:46pm

Publié par Fodjo Kadjo ABO

Depuis le jeudi 24 février 2022, l’Ukraine est le théâtre de bombardements dévastateurs opérés par la Russie.

Dans un monde où le dialogue et la négociation sont sans cesse prônés comme moyens privilégiés de règlement des différends entre nations, une telle agression est condamnable. En tant qu’être humain épris de paix, je suis de cœur avec les Ukrainiens et les étrangers qu’ils ont eu l’hospitalité d’accueillir sur leur sol. Je joins ma modeste voix à celles de tous ceux, sans doute très nombreux, qui prient pour que Dieu les délivre des souffrances qu’ils endurent depuis plusieurs semaines. 

L’agression de l’Ukraine, au-delà de l’émotion et de la compassion qu’elle suscite, donne matière à réflexion, surtout aux Africains.

Depuis son déclenchement, les condamnations, les sanctions et les souhaits de malédictions pleuvent sur la Russie, accusée d’avoir attenté à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

Les Occidentaux, par leur réaction aussi passionnée qu’immodérée, viennent de mettre à nue leur manque de sincérité dans la défense et la promotion des valeurs qu’ils prônent. Les notions de souveraineté et d’intégrité territoriale ont-elles des définitions différentes selon qu’elles concernent les pays du Sud ou ceux du Nord ?

En octobre 2001, l’Afghanistan fut attaqué par les Etats-Unis d’Amérique et leurs alliés au nom de la lutte contre le terrorisme. Ce pays fut occupé par ses agresseurs jusqu’en 2021, soit pendant 20 ans. Réduit en lambeaux sous l’effets des bombes larguées, il peine toujours à se relever.

Le 20 mars 2003, l’Irak fut envahi et littéralement bombardé par les mêmes Etats-Unis d’Amérique et leurs alliés au motif qu’il détenait des armes de destructions massives. Saddam Hussein, le président Irakien, fut arrêté et exécuté trois ans plus tard alors qu’aucune arme de destructions massives ne fut trouvée en Irak. Ce pays, réduit lui aussi en lambeaux, ne s’est pas encore relevé près de 20 ans après son agression.

En mars 2011, ce fut le tour de la Libye d’être bombardée par une coalition de forces armées occidentales. Son président, Mouammar Kadhafi, fut assassiné de manière atroce. Ce pays, entièrement détruit, est toujours dans le chao plus d’une décennie après son agression.

Dans ces trois cas, cités parmi d’autres, les Occidentaux qui s’agitent aujourd’hui au chevet de l’Ukraine ne s’étaient guère préoccupés de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des pays concernés. Au contraire, ils s’étaient félicités d’avoir rendu service à l’humanité en mettant des dictateurs hors d’état de nuire.

Aujourd’hui, les mêmes Occidentaux sont aux abois et prêts à faire feu de tout bois pour châtier la Russie, coupable à leurs yeux d’attentat à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Ils ont pratiquement épuisé leur catalogue de sanctions contre ce pays. Cela est tout simplement décevant, voire révoltant.

L’agression de l’Ukraine n’étant qu’à ses débuts, il est prématuré de faire une comparaison entre ses conséquences et celles des bombardements aveugles subis par l’un quelconque des trois pays qui viennent d’être cités. Mais, vu la manière dont les frappes sont administrées par la Russie, il serait surprenant qu’elles soient plus dévastatrices.

Les Occidentaux auraient-ils eu la réaction qu’ils ont si la Russie avait bombardé un pays africain ou, en tout cas, un pays du Sud ? Rien n’est moins sûr. Ce qui est certain, c’est qu’ils s’agitent dans tous les sens et ameutent le monde entier parce qu’un pays du Nord est attaqué. Ils donnent ainsi à penser que la vie des habitants du Nord a plus de valeur que celle des habitants du Sud.

Le comble de l’indignation est que l’Europe, dans son déchainement contre la Russie, veut, par des insinuations, amener le monde entier, en particulier les pays africains, à prendre position à ses côtés. En effet, depuis quelque temps, certains de ses organes de presse, dit internationaux, ne cessent de montrer du doigt, voire de stigmatiser les pays africains qui n’ont pas condamné officiellement l’invasion de l’Ukraine et ceux qui, au Conseil de sécurité des Nations Unies, n’ont pas voté en faveur d’une telle condamnation.

Face à ce qui arrive à l’Ukraine, les Occidentaux ne peuvent et ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes. « Qui crache en l’air reçoit le crachat sur soi », dit un proverbe français.

Si, lors de l’invasion de l’Afghanistan, de l’Irak et de la Libye il y avait eu la levée de boucliers à laquelle l’on assiste aujourd’hui dans le cas de l’Ukraine, cela aurait eu pour effet de calmer les ardeurs des puissances bellicistes. Mais, en se félicitant officiellement de ces attaques, les Occidentaux ont créé des précédents dangereux. Ils ont ainsi donné à penser que « la raison du plus fort est toujours la meilleure » et qu’une grande puissance peut s’autoriser à bombarder un pays plus faible qu’elle et s’en glorifier.

La Russie a bien assimilé cette leçon. Elle s’est dite qu’à l’instar des États-Unis d’Amérique et des pays membres de l’OTAN, il lui est loisible d’envahir un pays plus faible qu’elle si ses intérêts ou ses humeurs le commandent. Et il n’est pas exclu qu’elle s’estime même victime d’injustice. Elle pourrait être tentée de se demander pourquoi tant d’agitations et de sanctions contre elle alors que d’autres grandes puissances ayant fait pire qu’elle ont eu droit à des acclamations nourries et à des motions de soutien.

La réaction des pays occidentaux face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie montre à quel point ils savent faire preuve de solidarité quand un des leurs est en difficulté. Ils donnent ainsi une leçon aux États africains, prêts à se trahir pour faire plaisir aux anciennes puissances coloniales.

Un pays africain en proie à des difficultés devrait pouvoir compter sur la solidarité inconditionnelle des autres États africains. Quitte à laver le lange sale en famille après l’avoir sorti du pétrin. Est-ce ce qu’il nous est donné de constater ?

L’expérience a montré que bien souvent, des pays africains sont plus solidaires des anciennes puissances coloniales que des autres pays africains. Cela est attesté par de nombreux exemples.

Suite à l’attentat du 07 janvier 2015 contre Charlie Hebdo, une cinquantaine de dirigeants politiques dont de nombreux chefs d’État africains avaient participé à une marche contre le terrorisme à Paris. Pendant ce temps, en Afrique de l’Ouest, le terrorisme faisait rage dans la plus grande indifférence. Ce qui était surtout choquant, c’est que quelques jours avant cette manifestation de haut niveau, des terroristes venaient de dévaster un village nigérian, laissant derrière eux plus de 200 morts. Des Africains ne s’étaient guère gênés d’enjamber les corps de ces victimes pour aller pleurer aux Champs Élysées 12 Français tués dans l’attentat contre Charlie Hebdo.

Quand un pays occidental est victime d’un attentat, même douteux, nous voyons avec quelle détermination les autres pays occidentaux lui viennent en aide. Depuis plus de deux décennies, des pays de l’Afrique de l’Ouest sont confrontés au terrorisme. Ce fléau aurait été de courte durée si, dans un élan de solidarité, les autres États africains avaient uni leurs forces pour le combattre. Hélas ! Abandonnés à leur sort, les pays assiégés sont obligés de s’en remettre à des Occidentaux qui les font chanter à leur guise. 

En 2011, la Libye fut littéralement bombardée par les Occidentaux pour des raisons qui restent encore un mystère. Son président, Mouammar Kadhafi, fut abattu et jeté comme un chien enragé. De quelle solidarité bénéficia-t-elle de la part des autres pays africains ? Combien de condamnations officielles furent-elles enregistrées à cette occasion ? Aujourd’hui, l’Ukraine est attaquée par sa voisine pour des raisons que nous sommes nombreux à ignorer. Et là, on veut amener les pays africains à lui manifester leur solidarité en s’en prenant à la Russie. Cela est-il moralement admissible ?

Aidons les Ukrainiens à pleurer leurs morts. Mais pleurons avec eux en méditant. Bien souvent, nous posons des actes qui, en plus des résultats recherchés, ont des effets secondaires indésirables. C'est bien le cas du soutien, explicite ou implicite, de la communauté internationale à certaines grandes puissances qui se croient tout permis dans les pays vulnérables.

Ces puissances, en faisant la pluie et le beau temps aux dépens des pays faibles, font aussi des émules qui, hélas, ne sont pas toutes domptables. La communauté internationale, en cautionnant le principe de la raison du plus fort, forge des monstres qui ne peuvent que menacer l'équilibre mondial.

Il est temps que l’égalité des peuples revête un sens si nous voulons vivre dans un monde meilleur. Chaque État, qu’il soit du Nord ou du Sud, qu'il soit faible ou puissant, mérite que sa souveraineté et son intégrité territoriale soient respectées. Et la communauté internationale doit y veiller en toute impartialité ;  pour mériter son appellation, elle doit se faire le devoir de protéger les plus faibles contre les plus forts.

                                                                                   

  Fodjo Kadjo ABO

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